Trois ques­tions à Mat­thieu Honeg­ger, pro­fes­seur à l’Institut d’archéologie de l’Université de Neu­châ­tel, res­pon­sable de la mis­sion archéo­lo­gique suisse de Ker­ma au Sou­dan, en confé­rence à l’Aula de la Facul­té des lettres le 27 mai 2021.

Quel est votre sou­ve­nir le plus mar­quant du Sahel ?

J’ai eu la chance de tra­vailler dans deux régions du Sahel tota­le­ment oppo­sées. Ma pre­mière expé­rience s’est dérou­lée à la fin des années 80, j’avais 25 ans. J’ai par­ti­ci­pé à une mis­sion qui mêlait eth­no­lo­gie et archéo­lo­gie au Mali. Nous vivions à Djen­né, l’une des perles du Sahel, ville clas­sée au patri­moine mon­dial de l’Unesco à l’architecture excep­tion­nelle et au mode de vie com­plè­te­ment tra­di­tion­nel. A l’époque, nous étions 3 Occi­den­taux dans cette ville de 15’000 habi­tants. J’ai vécu une immer­sion extra­or­di­naire. A par­tir de 1994, j’ai com­men­cé à tra­vailler à Ker­ma, au bord de la val­lée du Nil, au Sou­dan, à l’autre extré­mi­té du Sahel. Là, j’ai vécu des expé­riences mar­quantes, comme croi­ser des cara­vanes de plu­sieurs cen­taines de dro­ma­daires, qui migrent depuis le Sahel jusqu’en Egypte par une piste mil­lé­naire qui s’appelle la « route des 40 jours ». Les cara­va­niers connaissent tous les points d’eau et tous les repères.

Pour­quoi cette région au pas­sé pres­ti­gieux est-elle si méconnue ?

L’Afrique a une his­toire extrê­me­ment riche. Durant le Moyen-Age, toute la bande sahé­lienne va connaître une mul­ti­tude de royaumes et des échanges com­mer­ciaux très intenses. Pour­quoi connaît-on si peu cette his­toire ?  Parce que c’est une his­toire qui n’est qua­si­ment pas écrite. C’est une his­toire qu’on connaît par des tra­di­tions orales et essen­tiel­le­ment par l’archéologie. Encore aujourd’hui, dans notre civi­li­sa­tion occi­den­tale, mal­gré l’accent qu’on met sur les popu­la­tions autoch­tones, on a encore le réflexe de pri­vi­lé­gier les civi­li­sa­tions de l’écrit.

Pour­quoi est-ce si impor­tant de s’intéresser au Sahel ?

Le Sahel, c’est une région qui nous touche aujourd’hui. C’est tout d’abord une route migra­toire extrê­me­ment impor­tante. Ce qui sou­lève de nom­breux pro­blèmes de rela­tions nord-sud, comme le mal-déve­lop­pe­ment chro­nique de cer­tains Etats afri­cains. Le Sahel, c’est aus­si une région qui va beau­coup souf­frir du réchauf­fe­ment cli­ma­tique et à laquelle nous devons por­ter une atten­tion par­ti­cu­lière. Nous ne sommes plus dans un monde où les phé­no­mènes sont locaux, tout est mon­dia­li­sé. En matière d’immigration par exemple, l’Europe réagit sou­vent sur les consé­quences et pas assez sur les causes. Enfin, ces popu­la­tions ont une his­toire et le reven­diquent. Cette his­toire fait par­tie de leur iden­ti­té et de leur fier­té. Nous ne pou­vons plus réflé­chir au monde contem­po­rain sans pré­sen­ter la valeur de ces cultures.

 

Mathieu Honegger, archéologie et préhistorien, se rend régulièrement dans la région du Sahel depuis plus de 30 ans. Il a vécu plusieurs expériences marquantes dans ce vaste territoire qui s’étend de Dakar à Djibouti.
Propos recueillis par Nathalie Randin, journaliste, membre du Printemps culturel