Les Amériques noires

Après avoir parcouru les chemins de sable du Sahel, c’est une traversée par-delà l’océan Atlantique que la 5e édition du Printemps Culturel Neuchâtel vous propose: un voyage à la rencontre des populations issues de la grande migration forcée de l’esclavage, arrachées au continent africain pour prendre racine dans l’immensité des Amériques, donnant naissance à des formes de cultures et d’expressions inédites. 

En dépit de la richesse et de la diversité infinies de cette partie du monde, les populations des Amériques noires portent encore le poids de la violences et du passé. Mais leurs voix émergent chaque jour davantage, formulant des questions politiques, économiques et sociales cruciales, clamant l’urgence de visions de l’histoire à réinventer, de part et d’autre des océans. Des voix que cette édition vous invite à écouter, pour mieux renouveler notre regard, mieux comprendre le passé afin d’agir dans le présent.

Du Brésil aux confins du Canada et des rivages de Cuba aux Etats-Unis, c’est un immense espace d’îles et de terres que le PCN vous invite à parcourir du 21 mars au 21 juin 2023. C’est aussi une infinie diversité de peuples, de cultures foisonnantes issues de la créolisation, d’authentiques et singuliers descendants de l’Afrique et de l’Amérique à la fois. Ces mondes en mouvement sont aujourd’hui porteurs de questions, de revendications plus que jamais au cœur de l’actualité, ici comme ailleurs. 

Dans le sillage de ce grand questionnement, les acteurs culturels neuchâtelois ont souhaité nourrir la réflexion et mettre en lumière non seulement les problématiques propres à cette histoire si particulière, mais aussi les manifestations artistiques, musicales, littéraires et scéniques nées en ces espaces.

La riche programmation de cette édition propose d’une part à chacune et à chacun de jouer la carte de la rencontre et du débat autour de ces problématiques avec des acteurs et des témoins clés: les écrivains Patrick Chamoiseau et Felwine Sarr, la professeure et historienne Caroline Rolland-Diamond, l’historien Patrick Boucheron, l’historien de l’art Neil MacGregor; mais aussi de se laisser subjuguer par les arts de la scène au travers d’une proposition théâtrale de Christiane Jatahy, lors d’un concert de Licia Chery, par la projection d’un film ou au cours d’un atelier de danse autour de la thématique de l’appropriation culturelle. 

Des approches multiples pour tous les publics, pour mieux célébrer ensemble la richesse culturelle de notre monde infiniment divers.

Comité du Printemps Culturel Neuchâtel

La magie de la culture

Le Printemps culturel se réjouit de pouvoir convier la population à cette nouvelle édition consacrée aux Amériques noires.

Si l’édition 2021 centrée sur le Sahel avait été quelque peu malmenée par les aléas que l’on sait, son succès avait néanmoins démontré l’importance essentielle de pouvoir offrir à la population des moments de partage, d’échange et d’ouverture par l’entremise de ce que l’on nomme généralement la culture. Une ressource sans doute un peu magique par sa capacité à fédérer, tout en ouvrant le regard et élargissant les horizons.

Nourrir le débat autour d’une conférence, s’interroger en parcourant les salles d’une exposition, se laisser emporter par une performance scénique inédite, voici quelques exemples parmi la multitude de propositions faites au public, répondant ainsi aux objectifs poursuivis par la manifestation depuis 2015: mettre en lumière une partie du monde, aiguiser le regard, créer la rencontre.

Après les éditions consacrées à l’Iran, Sarajevo, le Grand Nord et le Sahel, le programme de l’édition 2023 se dévoile enfin, débordant de promesses, plus que jamais diversifié, intelligent et riche, reflet de toutes les formes que peut prendre la culture, si précieuse et si vivante dans notre canton.

Que nos partenaires en soient remerciés, pour leur créativité, leur pertinence, et surtout pour cette belle énergie qu’ils savent déployer afin de rendre la magie possible.

Janique Tissot
Membre du Printemps Culturel Neuchâtel

Trois questions
à Licia Chery

Licia Chery, artiste suisse d’origine haïtienne, est de celles que l’on n’oublie pas. Pluridisciplinaire, elle oscille entre la musique, l’écriture, l’animation télévisuelle, et la mise en scène.

Quel sens a aujourd’hui, une programmation consacrée aux Amériques noires?

Je pense que c’est nécessaire et bénéfique à toutes et à tous. Redécouvrir l’Histoire permet toujours à l’âme de s’épanouir. Apprendre, c’est toujours positif.

Vous allez assurer, le 22 mars prochain, l’ouverture du Printemps culturel avec Patrick Chamoiseau, un écrivain martiniquais qui fait l’éloge de la créolisation, une créolisation qui, affirme-il, doit aussi être celle des mémoires. Comment percevez-vous ce besoin, cette volonté?

J’en parle justement dans mon livre «Noir en Couleurs» (aux Éd. Favre 2021). Il y a cette idée que le créole c’est «drôle» (surtout en France). Avec cette idée que l’accent créole en Français serait rigolo, que c’est un «mauvais français», que ce n’est pas une vraie langue, cela permet d’oublier qu’à la base, les créoles sont un symbole de résistance! Partout où des Africains ont été déportés, kidnappés, esclavisés, à chaque fois qu’ils se sont retrouvés avec d’autres Africains ne parlant pas leur langue, ils ont créé un créole! C’est phénoménal non? De savoir que le créole est à la base un acte de rébellion afin de mieux pouvoir s’unifier… Pour Haïti, cela a même mené jusqu’à la révolution!

Vous vous êtes engagée à faire (re)connaître, aujourd’hui, la véritable histoire de l’Afrique et de ses richesses, mais aussi celle de l’esclavage et des mouvements de résistance et de créativité. Pourquoi?

Parce que je me rends compte jour après jour que beaucoup ne connaissent pas l’Histoire, et ne font que supposer des choses. J’avais envie de poser quelque part une vision différente, l’Histoire racontée sous un autre angle que celle qu’on nous sert inlassablement dans les écoles.

L’Histoire est toujours racontée du point de vue européen et j’avais envie de parler de cette masse humaine qui est souvent réduite à l’état d’«esclaves», j’avais envie de leur donner des noms à ces gens, mes ancêtres, des histoires, des familles, de la reconnaissance… J’avais envie de rappeler aux gens tout ce qui a été effacé des livres d’Histoire et pourquoi, j’avais envie d’être claire sur le fait que lorsqu’on parle de racisme ordinaire on parle de quelque chose d’ancré, d’enraciné dans les mentalités depuis plusieurs siècles.

Pour faire changer les choses, il faut déjà commencer par accepter qu’il y a des choses à changer. Pour l’accepter, il faut le savoir. Pour le savoir, il faut que cela soit écrit quelque part…

Licia Chery en concert acoustique lors de la soirée d’ouverture du Printemps culturel au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel le 22 mars 2023 à 18h

Trois questions
à Felwine Sarr

D’origine sénégalaise, Felwine Sarr est l’un des écrivain africains les plus actifs et engagés de sa génération. Ecrivain, essayiste, économiste, musicien, il est professeur de philosophie africaine contemporaine à l’Université de Duke en Caroline du Nord (USA). Il est l’auteur de Afrotopia, best-seller mondial qui appelle à déconstruire nos modes de pensée pour s’engager dans une politique sans prédation.

Installé depuis trois ans aux États-Unis, comment vivez-vous votre intégration sur sol américain?

En vivant sur un campus américain, je vis dans une bulle. Je m’efforce de sortir de ce cercle en visitant d’autres quartiers et villes comme Détroit. La société américaine est très fragmentée, marquée par la question raciale et la ségrégation. Aux États-Unis, la « color line » est très visible géographiquement. Ici, la question raciale est imbriquée aux enjeux économiques.

Quelle est la grande différence entre la façon dont les États-Unis et l’Europe abordent la question du racisme?

Ce qui est frappant aux États-Unis, c’est qu’ici on ne se voile pas la face. La question raciale est plus visible et abrupte. Mais elle est documentée. On n’a pas peur de faire des statistiques sur le nombre de Noirs en prison et à l’Université. Je suis intimement convaincu que pour faire progresser une société et réduire les inégalités, il faut disposer d’une lecture fine de sa réalité. Les États-Unis sont beaucoup plus conscients des disparités que la France par exemple, où l’on se refuse à entreprendre des études sociologiques sur les minorités. L’Europe vit dans une sorte de déni.

Quelle est l’actualité de la thématique des Amériques noires?

Malgré les progrès, les communautés noires ont toujours besoin de plus de justice, d’équité et d’actions concrètes de réparation, comme la restitution d’objets du patrimoine africain par certains musées. Mais je le vois aux États-Unis, la culture noire est tellement inventive, elle dispose d’un pouvoir de dissémination extraordinaire. C’est le cas dans le domaine de la musique et la littérature féministe par exemple. Ces apports amènent un surplus d’humanité. La culture noire raconte une autre histoire, revisite le savoir et la politique. C’est un mouvement riche et dynamique doté d’un puissant rayonnement.

Felwine Sarr, invité du Club 44 à La Chaux-de-Fonds,
le 1er juin 2023 à 20h15.

Institutions participantes

Centre de culture ABC / ADN — Danse Neuchâtel / Le Balkkon / Bibliomonde / Bibliothèque Pestalozzi / Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel / Case à Chocs / Centre Dürrenmatt Neuchâtel / Ciné-Club du Val-de-Travers / Cinepel / Club 44 / Conservatoire de musique neuchâtelois / EOREN — Ecole obligatoire région Neuchâtel / Fédération africaine des montagnes neuchâteloises / Haute école de musique Genève-Neuchâtel / Jardin botanique de Neuchâtel / La Roulotte des Mots / Le Pommier / Les Chemins de Traverse / Association Maison blanche / Musée d’art et d’histoire Neuchâtel / Musée d’ethnographie de Neuchâtel / Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel / MBAL — Musée des Beaux-Arts Le Locle / Palais — Galerie / Passion Cinéma / Quartier Général / Théâtre du Passage / Ton sur Ton / TPR — Théâtre populaire romand / UniNE – Instituts: ethnologie, histoire, histoire de l’art et muséologie, langue et civilisation françaises / Université du 3e âge

Bibliographie

La bibliographie suivante est offerte par Payot. Bibliographie à télécharger
 

Drapeaux des Amériques noires​

Tous les drapeaux des pays membres de l’Organisation des Etats américains s’unissent visuellement grâce aux couleurs panafricaines.

Exposition en plein air de drapeaux au centre-ville de Neuchâtel du 5 avril au 7 mai 2023 en collaboration avec la Ville de Neuchâtel.